Le trébuchet du seigneur rouge. Chapitre5

Le trébuchet du seigneur rouge. Chapitre5
Chapitre 5

- Il y a quatre conditions à remplir pour terminer le voyage. Ne jamais vous séparer. Ne pas décider sans s'être mis d'accord au préalable. Prendre le temps de réfléchir avant tout choix. Et...
- Et la quatrième condition, maître Bèdia?
- Allez au pas du moins rapide, Joachim. Tu m'entends? Allez au pas du moins rapide!
- Ouais! Je vois que cela ne va pas être facile avec ces deux lambines!
- Parle pour toi, espèce de...
- Arrêtez, si vous vous chamaillez avant même de partir, le seigneur rouge a déjà gagné. Je sais que ce n'est pas et que cela ne sera pas facile mais il vous faut être unis pour espérer réussir votre mission. Il est primordial que vous compreniez bien que le chemin qui mène au but ne peut être qu'un chemin uni, qu'il n'y a pas d'autre voie. Je suis content que vous ayez pris Justine avec vous et j'espère de tout cœur qu'il ne faudra pas que votre plus jeune sœur soit embarquée dans cette expédition.
- Quoi! Jeannelle! Et puis quoi encore! Deux sœurs sur les bras cela suffit!
- Tais-toi, Joachim. Tu ne vois pas que maître Bèdia essaie de nous aider, qu'il cherche à nous épargner même si nous devons aller au-devant de difficultés et d'adversaires inconnus.
- July, la première difficulté c'est d'y aller avec vous.
- Taisez-vous! Il va falloir bien m'écouter maintenant. Sachez que je n'ai pas toujours vécu isolé dans cette forêt. J'ai été un conseiller du seigneur rouge que nous devons combattre. Orphelin de naissance, j'ai été pris en charge par l'école militaire des jeunes pupilles du royaume. J'y ai ainsi appris l'art de la guerre et je suis devenu un officier zélé. Mais après quelques guerres, j'ai peu à peu compris que cela ne menait à rien de poursuivre cette politique d'affrontements meurtriers et d'expansion à tout prix du royaume. J'ai donc demandé au roi de me retirer pour un temps chez un sage des îles lointaines. Il me le permit pensant que je reviendrai avec de nouvelles connaissances que je mettrai à son service pour l'aider dans son désir grandissant de régner sur un puissant empire. Ce bon maître, chez qui je me suis réfugié, m'a initié aux techniques de construction, à l'étude de l'histoire, à la préparation de remèdes médicinaux, mais aussi à la patience et à la bonté. Ce sont là les deux véritables trésors qu'il a partagé avec moi. A mon retour, à la cour royale, il était attendu de moi que je m'attelle à la conception et la production de nouvelles machines de guerre et à l'élaboration de nouveaux poisons, grâce à ce que j'avais appris. Devant mon refus de coopérer, je fus, dans un premier temps, jeté au cachot, pensant que je reviendrai vite à mon poste. Mais constatant que je ne fléchissais pas, je fus torturé.... c'est ainsi que je perdis ma main et tout ce qui me restait d'illusions pour ramener le roi à la raison.
- Oh comme tu as dû avoir mal? Je suis triste pour toi.
- Je te remercie Justine, mais laisse-moi terminer, le temps nous manque. Le roi a alors envoyé un autre officier auprès de mon vieux et bon maître. Il devait se faire passer pour un de mes plus proches amis et apprendre comme moi afin de m'épauler dans quelques grands projets de paix. Après quelques temps, mon maître a percé la supercherie et a voulu renvoyer cet espion. Mais cet homme cruel,ambitieux et sans scrupule a tué celui qui lui avait ouvert son cœur et sa maison. Après lui avoir menti, il lui a volé sa vie et enfin tous ses précieux ouvrages sur la connaissance des choses de ce monde. Et c'est en héros qu'il a été accueilli et ordonné grand chambellan pour services rendus à l'orgueil démesuré du roi. Blaste! Voilà le nom de ce meurtrier, n'oubliez pas ce nom!
- C'est un monstre, un monstre!
- Oui, Justine, mais il y en a hélas bien d'autres dans ce monde, et vous devrez bien faire attention à ne pas vous laisser tromper. Ce ne sont pas toujours ceux qui le paraissent qui le sont et, inversement, d'autres sous des abords plaisants peuvent se révéler de véritables et acharnés ennemis. Ce Blaste était de ma promotion. Depuis le début, il était jaloux de moi et lorsqu'il est venu me rendre visite dans mon cachot, j'ai cru qu'il sympathisait et je me suis malheureusement ouvert à lui. C'est moi, oui c'est moi, qui lui ait expliqué le chemin pour se rendre chez mon bon maître. Oh! Comme je m'en veux.
- Ce n'est pas de ta faute, il aurait pu trouver le chemin de toutes manières!
- Oui, Justine, maintenant, après toutes ces années, j'ai fini par l'accepter. J'ai appris à me pardonner. Il n'empêche que par mon manque de discernement, je lui ai facilité la tâche. Si je vous raconte tout cela c'est pour vous mettre en garde et ne pas vous laisser induire en erreur par les belles manières de certains et un semblant de bienveillance qui n'en est pas une. C'est aussi pour cela que je vous ai enjoints de ne pas vous séparer, parce qu'à trois vous êtes plus forts, plus forts pour démasquer les menteurs,les profiteurs, les intéressés, les traitres, les faibles et les espions. Maintenant avertis, ce que je peux vous dire de plus c'est qu'il vous faut partir à la recherche de l'interprète du livre perdu.
- C'est quoi le livre perdu?
- Tais-toi Justine! Laisse-le parler.
- Je veux juste savoir de quel livre il s'agit.
- Le problème, les enfants, c'est que justement nous ne savons plus depuis bien longtemps de quel ouvrage il est question. Tout ce que je peux vous dire et que j'ai notamment entendu du bon maître, c'est qu'il a existé et que le roi, à cette époque, devait en avoir une copie. Il semblerait qu'il contenait les indications pour la bonne gestion du royaume et sa prospérité. Mais voilà, il y a des siècles que l'on a perdu toute trace ou copie de ce précieux manuscrit. De plus, si on arrive à mettre la main sur ce texte ancien, il faudra trouver une personne qui puisse le déchiffrer, en donner le sens exact.
- Je ne comprends pas, maître. Pourquoi chercher cette personne alors que nous n'avons pas le livre? Ne faudrait-il pas mieux de partir premièrement à la recherche du livre, car même si nous trouvons l'interprète cela ne nous servira de rien si nous n'avons pas le manuscrit?
Tu as probablement raison, July-Anne, mais je pars du principe que comme on n'arrive pas à retrouver le livre malgré bien des efforts, il ne nous reste plus qu'à porter nos investigations sur la personne qui connaît ou tout du moins qui a des renseignements sur ce texte ancien.
- Comment êtes-vous sûr que cette personne existe?
- Je n'en suis pas sûr, Joachim, mais j'espère de tout cœur qu'il y a un tel homme dans tout le royaume. Mon vieux et regretté maître en était d'ailleurs certain.
- Et dans quelle direction devons-nous nous rendre, mes sœurs et moi?
- Vers les Monts Chauves, là-bas à l'Est. Vous ne les voyez pas, mais ils y sont bien. Pour y arriver, il vous faudra d'abord rester unis et ensuite persévérer envers et contre tout. Je n'ai malheureusement pas beaucoup plus d'indications à vous donner. Je sais simplement que c'est dans cette contrée reculée que vous trouverez quelque chose ou quelqu'un qui vous donnera la clé de ce mystère. Il vous faudra partir à l'aube. Maintenant, retournez à vos lits et revenez-moi au petit matin.

Le lendemain matin, la discussion s'anime dans la cuisine autour des céréales.

- Je ne peux pas toujours y croire, c'est de ma folie!
- July, on ne va pas s'arrêter maintenant. N'aie pas peur, je suis votre grand frère. Je prendrai soin de vous.
- Je n'ai pas besoin de toi, moi je l'aime bien, maître Bèdia, et je crois à ce qu'il a dit. C'est Justine qui vous le dit, moi, je serai prête dès ce soir!
- En attendant, tu vas être en retard pour l'école. Grouille-toi, et surtout ne dis un mot à personne de cette histoire. Promets-le nous, Juju!
- Oh ça va! Tu n'es pas le chef, le général Joachim. Tu es juste mon frère, et c'est déjà assez!
- Tu l'as dit que c'est déjà assez! Mais ne t'avise pas à cafter, à vendre la mèche ou...
- Tu vas exploser, c'est ça?
- Je ne sais pas ce qui me retient pour...
- Disparaître de ma vue? En tout cas pas moi!
- Juju, arrête, tu vas vraiment être en retard.
- OK, July, mais je serai prête ce soir.

Justine franchit la porte de l'appartement, chargée de son cartable mais aussi de ses nouvelles pensées, quand leur mère entre dans la cuisine.

- Qu'est-ce que vous lui avait encore dit? Elle m'a l'air bien excitée.
- Ce n'est rien, Maman, juste un petit jeu.
- Eh bien, j'espère, Joachim, que cela ne finira pas mal.
- Je l'espère aussi, Maman.
- Qu'est-ce que tu entends par là, July-Anne?
- Rien, Maman. C'était juste une pensée, comme ça, sans plus!
- Moi aussi, les enfants, j'espère que ce n'est qu'une pensée parce que vous avez les examens dans quelques jours. Alors, ce n'est pas le moment de vous disputer ou de vous embarquer dans des histoires qui vont vous faire rater.
- D'accord, Maman, on va être calme. Je te le promets.
- J'y compte bien, Joachim. J'y compte bien!

La mère à peine sortie, July-Anne s'adresse à son frère.

- Pourquoi, tu lui as menti?
- Tu aurais voulu que je lui dise la vérité?
- Non!
- Alors?
- Eh bien...
- Eh bien, quoi?
- Je ne sais pas. Voilà ce qu'il y a. Je ne sais pas quoi penser, ni quoi faire. T'es content comme ça?
- Moi, non plus, je ne sais pas quoi en penser exactement, mais je ne me plains pas. J'essaie d'envisager la suite.
- Fais-le si cela te chante, moi je préfère réussir mes examens.
- Je ne comprends vraiment rien aux filles! D'abord, tu ne voulais pas me croire, ensuite tu ne voulais pas te lancer dans l'aventure, puis, Mademoiselle change d'avis, tu veux y aller à fond, et ce matin, Mademoiselle la girouette, tu ne veux plus y aller. Il faut savoir ce que tu veux à la fin!
- Ce que je veux, je te l'ai dit, c'est réussir mes examens.
- Et continuer à vivre comme tu le fais?
- Oui! Et si cela te dérange, pense-en ce que tu veux et laisse-moi tranquille.
- Qu'est-ce que je vais dire à Bèdia? Il a bien demandé à ce que nous soyons tous les trois de la partie.
- Tu feras un beau rêve et si tu le rencontres, tu lui diras que la partie est finie en ce qui me concerne.
- C'est ça, on se passera bien de toi!
- Oui, vous vous passerez de moi!

Sur ce froid qui vient de passer, bien que l'on soit au mois de juin, les deux adolescents prennent leur cartable et s'en vont vers une nouvelle journée scolaire bien chargée.

L'après-midi, à leur retour, pas un mot, si ce n'est Justine qui prépare un sac avec de la nourriture, enfin surtout des bonbons et des biscuits.

- Qu'est-ce que tu fais, Juju?
- Je prends des réserves pour le chemin. Tu sais pour le voyage vers les Monts chauves. On y va ensemble, cette nuit,avec Joachim et toi.
- Non, tu te trompes.
- Tu ne viens pas?
- Non, et toi non plus d'ailleurs.
- Comment ça, je n'y vais pas. Et pourquoi? Je suis assez grande et maître Bèdia a bien dit que je devais y aller.
- Je ne vais pas y aller et toi non plus parce que ce n'est qu'un rêve, de la poudre aux yeux, des histoires qui n'existent pas.
- Tu dis ça parce que vous voulez y aller sans moi. Vous voulez encore vous débarrasser de moi. - Eh bien, moi, je suis pas d'accord. Cela ne se passera pas comme d'habitude!
- Je te dis que je n'y vais pas parce que ce sont des bêtises et rien d'autre!
- Tu n'es pas gentille, pour une fois que l'on nous charge d'une mission intéressante, tu veux tout casser.
- Écoute, je vois que cela ne sert à rien de t'ouvrir les yeux sur cette folie. Je te laisse faire comme tu veux. Tu verras bien que j'ai raison.
- Ce qui est sûr, c'est que tu es jalouse.
- Jalouse de quoi, tu peux bien me le dire?
- Maître Bèdia, il m'a écouté. Il a même répondu à mes questions. Il m'a aussi fait un clin d'œil pour m'encourager et je pense qu'il compte beaucoup sur moi, peut-être plus que sur toi parce que tu avais l'air bizarre chez lui.
- Comment ça bizarre?
- Avec tes manières, tu sais bien.
- Quelles manières?
- Celles que tu fais trop souvent.
- Bon! Je ne vais pas m'énerver. J'ai déjà assez perdu de temps et d'énergie avec cette histoire de fous. Tu fais ce que tu veux, mais tu ne viens plus m'ennuyer avec cela.
- C'est toi qui est venue me demander ce que je faisais, et maintenant tu dis que c'est moi qui ai commencé. C'est la meilleure celle-là!
- Penses ce que tu veux, moi je ne veux plus rien savoir de tout ça.

Sur cette dernière réplique, July-Anne tourne ses talons et s'empresse d'aller jouer à l'ordinateur, en espérant que son frère ne s'y trouve pas. Elle ne parlera plus de la soirée à Justine jusqu'au coucher où elle ne peut s'empêcher de ricaner dans son coin lorsqu'elle voit sa sœur se mettre au lit avec le fameux sac de la discorde.

- Il ne manquait plus que cela!
- Quoi?
- Les bonbons c'est pour toi ou pour tes peluches?
- Je t'ai dit que c'était pour nous trois.
- Arrête! S'il te plaît, dis plutôt que tu vas t'empiffrer avant de dormir.
- Tu seras bien contente d'en avoir quand on sera en route vers les Monts Chauves.
- Le seul mont que je vais gravir cette nuit, c'est celui de l'indifférence quant à vos affabulations et les seuls chauves qu'il pourrait avoir dans la nuit sont des souris, et encore elles sont dehors et pas dans notre chambre.

Pendant cette dernière escarmouche de la journée, Joachim se penche sur un article concernant un instrument qu'il a vu chez maître Bèdia. Il croit maintenant qu'il s'agissait d'un cornet à bouquin. Il ne sait pas ce qu'il doit penser de ce curieux personnage. Celui-ci leur a premièrement dit qu'il avait été fauconnier, puis un ancien militaire à la cour du roi. Or, ce sont deux fonctions différentes. Il n'a pas vu de rapaces, mais un instrument de musique, des parchemins et une étrange machine, et aussi, à son cou, un bijou, un pendentif en forme d'étoile. Il ne sait pas cerner cet homme alors que ses cernes viennent l'inciter à plonger dans un sommeil bienvenu.

Suite de l'aventure la semaine prochaine...

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